Wednesday, January 18, 2012

Aranjo lecture on Toulet, part 2

Aspects de l’art
Lisons-le et refouillons-le en pensant à son autre ami, le nocturne et clair Debussy, ou à ces grands Concis dont la science orchestrale (rythme, timbre, tonalité, syntaxe même) n'a d'égale que la subtilité de l'affect et que la pudeur, intense, des moyens :

Nocturne.

Ô mer, toi que je sens frémir
      À travers la nuit creuse,
Comme le sein d'une amoureuse
     Qui ne peut pas dormir ;

Le vent lourd frappe la falaise…
     Quoi ! si le chant moqueur
D'une sirène est dans mon cœur –
     Ô cœur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d'avoir
     Personne qui vous plaigne…
Tout bas, comme d'un flanc qui saigne,
     Il s'est mis à pleuvoir.

Où tout est soigné à la décimale près, à commencer par le discret mais aigu sous-titre, clairement décalé presque contre la marge de droite, souvent séparé par un interligne du texte même et souligné par Toulet sur le manuscrit (et donc étroitement noté et justement incisé par un italique en corps réduit par certains éditeurs), l’acuité graphique du jeu sur le signifiant n’ayant ici d’égale que la précise pudeur du signifié préliminaire ainsi suggéré et dont on admirera, dans un cadre particulièrement elliptique, et qui peuvent rappeler les ruptures de tonalité et de rythme d’un Debussy (dont les thèmes sont spontanément si proches : mer, impressions de climat, Antiquité tardive, Orient…), les pulvérisations, suspensions, les articulations évasives et écourtées du thématisme, la syntaxe toute personnelle, irrégulière, ou plutôt novatrice mais avec prestige et pointant fièrement son origine latine (Quid, si ?, « Que dire, si ?», « Et si ?»).
Debussy a lui-même du reste écrit trois célèbres Nocturnes (le 3e a pour titre Sirènes) pour orchestre et chœur (1897-1898), « cette musique ardemment subtile dont M. Debussy, sans doute, écouta les sirènes sur un autre fleuve que l’Escaut : un beau fleuve dont résonnent les bords de pierre harmonieuse, et qui s’élance pour porter plus vite à la mer la fleur velue du myrte, offrande du mistral, et ta dépouille, olivier d’argent. » (P.-J. Toulet), et put avoir occasion d’en parler au moins une fois avec son ami, en termes tout aussi ardemment subtils, dans une lettre du 7 nov. 1901 : « chez Lamoureux : on y jouait mes Nocturnes ; des gens y trouvèrent un prétexte à siffler vigoureusement, surtout le troisième. – Cette partialité pour les deux autres me chagrine un peu… néanmoins il me semble que vous auriez pris plaisir à leur volupté rythmique (Pas de sifflets !…) »
Autre exemple d’ellipse grammaticale particulièrement complexe et resserrée (la grammaire est recomposée à la façon d’un nouveau langage et se fait ainsi aussi poésie) :

D’un noir éclair mêlés, il semble
     Que l’on n’est plus qu’un seul.
Soudain, dans le même linceul,
     On se voit deux ensemble.

          Une traduction en prose grammaticale un peu plus normale comme « Quand on est d’un noir éclair mêlés, il semble que l’on n’est plus qu’un seul » (d’ailleurs pas très correcte : « mêlés » au pluriel, « on » au singulier), fait mieux saisir la tragique concision de la syntaxe avaricieuse et torturée de Toulet – dont la préposition initiale « D’ » semble pouvoir même induire une double fonction (à supposer qu’il faille d’ailleurs vraiment analyser, décomposer et recomposer la forme proposée en termes plus ou moins scolaires) : amener le complément, lui-même antéposé, « un noir éclair », de « mêlés », et une façon de locution causale par « de » avec l’infinitif, sauf qu’ici on a un participe pluriel : « D’(être) (d’)un noir éclair mêlés, il semble que l’on n’est plus qu’un seul ») et qu’il mène à l’illusion-éclair d’un seul et unique mais fallacieux singulier (d’un côté « même, ensemble, seul » rimant d’ailleurs avec « linceul », et de l’autre « deux » presque à la fin et à la chute de la strophe). On peut aussi, plus simplement, faire de « mêlés » une apposition antéposée, elliptiquement rattachée au singulier « on », avec un participe passé à valeur temporelle-causale : « Quand on est d’un noir éclair mêlés», la valeur du complément « d’un noir éclair » n’étant pas du reste évidente à dégager (à supposer qu’à la lecture, polysémique, de toute poésie il faille dégager ce genre de paramètres) : complément d’agent (« melés par un noir éclair ») ? vague complément de manière ? En latin, on mettrait un simple ablatif qui signifierait tout cela à la fois et qui en poésie, souvent économe de prépositions, pourrait même indiquer une façon de lieu : « dans un noir éclair mêlés ».

Ailleurs, l’équation est à peine plus cartésienne :

Et peut-être aimait-il la mangue ; 
     Mais Bella, les français
Tels qu’on le parle : c’est assez
     Pour qui ne prend que langue.

Où l’ellipse grammaticale semble renvoyer à la superposition ou plutôt à la contraction de « le français / Tel qu’on le parle » et de « les Français / Tels qu’on le(s fait parler) », ou quelque chose d’approchant ; ce que peut au reste confirmer (si c’était vraiment nécessaire) le manuscrit des Contrerimes de la Bibliothèque de Pau où l’on voit « le français / Tel qu’on le parle » clairement corrigé en « les Français / Tels qu’on le parle ».

Le très franco-oriental Toulet, à une époque où sévissaient la mode du haï-kaï et les formats orientaux en France (comme, à l’opposé, les poèmes de centaines et de milliers de vers de Cendrars, de Claudel et de Péguy), n’aimait-il point du reste les miniatures et les fantoches, les marionnettes, délicieux d’insignifiance, même dans ses romans, a fortiori dans ses contes (Ombres chinoises, ou Béhanzigue, avec sa sous-section « En Franco-Chine » – un titre à méditer) et dans ses poèmes d’allure orientale ? « L’irréalité de mes personnages […] est du(e) au caprice plus qu’à l’abstraction. Il m’a semblé parfois qu’ils participaient de la vie factice des comédiens et des marionnettes. » Et ne put-il, même, visiter quelques villes de la Chine du Sud (Hong-Kong, Canton, Hong-Kong, Quan Tcheou Wan, concession française en Chine) entre les 9 et 21 mars 1903 ? « La musique chinoise est d’une couleur éclatante et dure. On dirait qu’elle scie des matières précieuses. » Subtils greffons qu’un Claudel, l’homme puissant de Connaissance de l’Est, appréciait fort, certains jours, chez quelques-uns de nos artistes, des « chinoiseries de Boucher » au « goût du " bibelot ", du " curio ", comme disent les Anglais, de la nouveauté dans l’étrange et dans le baroque. C’est à lui que nous devons les charmantes contre-rimes de Toulet […]dont vous aimerez comme moi l’allure élégante et désinvolte » 
On voit jusqu’où peuvent mener les jeux aigus d’un tel art. Aux limites, oniriques, rêveuses, précises, de l’indicible, pur ; mystérieuses et peut-être même un peu mystériques, si l’on veut bien se souvenir que Toulet est le traducteur du Grand Dieu Pan de Machen, cet « autre » Toulet (ésotérique) que Malcolm de Chazal ne séparait pas de son île Maurice mythique, magique, minérale à lui. Soit la Contrerime XIX :

Rêves d’enfant.

Circé des bois et d’un rivage
     Qu’il me semblait revoir,
Dont je me rappelle d’avoir
     Bu l’ombre et le breuvage ;

Les tambours du Morne Maudit
     Battant sous les étoiles
Et la flamme où pendaient nos toiles
     D’un éternel midi ;

Rêves d’enfant, voix de la neige,
     Et vous, murs où la nuit
Tournait avec mon jeune ennui...
     Collège, noir manège.

Nous savons tous qu’aux Îles, un « morne » désigne une petite montagne à sommet arrondi aux Antilles, mais point du tout arrondi, tant s’en faut, à Maurice. S’agirait-il donc d’un souvenir de l’île Maurice ? Mais comment expliquer alors l’image de la neige et du collège qui suivent, puisque c’est en Aquitaine, non aux Îles, que Toulet fit diverses et capricieuses études. Il est vrai qu’il ne s’agit ici que de « rêves d’enfant » (au pluriel), rêves peut-être aussi d’enfances, ou d’autres enfances, resserrés sur quelques syllabes : rêve nocturne puis solaire et torride à possible moustiquaire (et « tambours » possibles de collège) (strophe 2), rêve neigeux de collège (strophe 3) ; et à supposer qu’il faille vraiment tenter de plaquer une explication causale, sous-réaliste, sur le discret mais aigu surnaturalisme de telles visions, effilées, infusées par le breuvage d’une nouvelle Circé et dont le néoclassicisme ardent et subtil, revenu du symbolisme, a fort bien été cerné par Claudien. « P.-J. Toulet, qui, comme plus tard Carco, comme parfois l'exquis Jean Pellerin, exprima, dans cette mesure délicate et brève, une angoisse divinisée. Toulet se proclamait soumis à des influences sévèrement "classiques". Parmi les admirateurs de Moréas, il était l'un des plus véhéments. Cet homme au caractère difficile le confessait comme l'on confesse un dieu récent ; je ne sais s'il fût allé jusqu'au martyre, mais je sais qu'il se fâchait fort contre quiconque touchait au Maître ; dans ses vers pourtant, que de subtilité, d'indécision, d'inquiétude inclut la forme la plus stricte ! » (Robert de la Vaissière, dit Claudien)


Toulet, qui fut parfois saisi par la capacité d’altitude des mornes de Maurice, qu’il ne faut pas sous-estimer, et leur vertu de Pilier, a peut-être ainsi restitué certain magnétisme, pré-chazalien, de ce sol. Pour commenter ce poème, Jean Urruty, dans son ouvrage Le Mauricien Toulet ‎(Port Louis, The Royal Printing. 1969), qu’il faudrait rééditer, a d’ailleurs ces mots : « Ou bien est-ce plutôt le Morne Brabant, ce rocher escarpé qui fut autrefois le refuge des noirs marrons ? La région environnante était alors couverte de forêts denses et les gens de la région pratiquaient la sorcellerie et dansaient le séga importé par les esclaves. Ce sont ces pratiques que Toulet a concrétisées dans ces deux strophes. » (p. 78)
Dandysme de l’affect, de la forme, recomposée, de l’affect dans le cadre d’une culture millénaire de gentilhomme des lettres, habile à révéler autant qu’à dissimuler ses possibles allusions comme son profond atavisme. (Et gentilhomme tout court, au quotidien, comme le révèlent aussitôt sa correspondance, prise au hasard, ou même des détails, significatifs, comme ceux-ci : « Je me rappelle aussi qu’il sentait bon : il avait l’habitude de se parfumer. Il était toujours extrêmement élégant et tiré à quatre épingles. […] Il était très gourmand. Je peux dire même que c’était un fin gourmet. Exigeant et maniaque, il demandait beaucoup à ses domestiques. Il fallait, par exemple, changer la nappe de la salle à manger tous les deux jours : il ne pouvait tolérer la moindre tache. Il avait un gros train de maison, menait une vie désordonnée de grand seigneur et recevait beaucoup… » (témoignage-souvenir d’enfance de Marie Neurisse Dupourqué, qui vécut au Haget de 1892 à 1894, de 7 à 9 ans, alors que Toulet en avait de 25 à 27 ; La Rébiste salière, Salies-de-Béarn, juillet 1981, p. 12)



Point besoin d’aller très loin, la première Contrerime suffira (pas la meilleure pourtant, mais c’est toujours la première) :

Avril, dont l’odeur nous augure
     Le renaissant plaisir,
Tu découvres de mon désir
     La secrète figure.

Ah, verse le myrte à Myrtil,
     L’iris à Desdémone :
Pour moi d’une rose anémone
     S’ouvre le noir pistil.

Certes, on sait que Desdémone est le nom de la femme d’Othello, chez Shakespeare ; mais encore ? En tout cas beau prénom ici, peut-être tragique et empoisonné par la proximité de l’iris, dont on lui « verse » la substance, du moins sonore, comme le myrte à Myrtil (sous quelle forme ? liqueur ? senteur ? ou…), dans le cadre d’un poème à boire renouvelé de cette poésie alexandrine ou alexandrinisante de l’Antiquité dont Toulet a eu très vite le goût et qui a bien pu lui en fournir l'amorce chantante, dansante, l'amorce-échanson : « Verse, et : “Encore !”, dis : “Encore ! Encore ! à la santé d'Héliodora !” * Dis, et dans le vin mêle la douceur de son nom. / Et, mouillée de parfum, bien qu'elle soit d'hier, * en souvenir d'elle, ceins-moi d'une couronne. / Elle pleure, la rose amoureuse, regarde, parce que celle-là * est ailleurs et ne la voit pas dans mes bras. » (Méléagre) 
Faut-il vraiment tenter ces harmoniques, faut-il les forcer, et en développer quelques-uns, sans courir à la déception ? Ou se contenter de laisser sa justesse mystérieuse à ce « bourreau des vocables, qui leur fais dire quelque chose à force de serrer le garrot » , comme son brillant et bref et pluvieux et allusif halo, sans plus (et c’est déjà beaucoup), à cette Iris de la Contrerime III, vaguement reliée ici comme dans la mythologie et dans l’art à l’ostentation et à l’inconstance, à quelque féconde rosée des larmes, à l’impalpable et au charnel :
Iris, à son brillant mouchoir,
     De sept feux illumine
La molle averse qui chemine,
     Harmonieuse à choir. ?

Soit le poëme sans titre (Contrerimes, XXXVI) :


Comme à ce roi laconien
     Près de sa dernière heure,
D’une source à l’ombre, et qui pleure,
     Fauste, il me souvient ; 

De la nymphe limpide et noire
     Qui frémissait tout bas
– Avec mon cœur – quand tu courbas
      Tes hanches, pour y boire

L’allusion à ce roi de Laconie (région de Sparte, dans le Péloponnèse), n’est pas très claire dans la version définitive et rajoute au mystère et au charmant « laconisme » de cette source, ou plutôt de la « nymphe » de cette source, où boivent le prénom faste et latin comme les hanches finales de « Fauste » (fausta, « favorisée » par exemple des dieux ?). Pièce brève, énigmatique et pure, d’un alexandrinisme renouvelé, dans le goût des épigraphes ou épitaphes antiques chères à l’ami Debussy (Six Épigraphes antiques) mais dont, en fait, la version du manuscrit du fonds Toulet de Pau comportait comme sous-titre, un peu obscur : Agésipolis, du nom d’un roi peu connu de Sparte mort en 381 av. J.-C. sous les murs d’Olynthe, en Chalcidique (Macédoine), après en avoir dévasté le territoire, cité par les Vies de Plutarque mais surtout par Xénophon, à qui sans nul doute le subtil Toulet, à la science surprenante, doit ce charmant épisode. Pris d’une forte fièvre d’été, « comme il venait de visiter le sanctuaire de Dionysos à Aphytis, il éprouva le désir de revoir ses charmilles ombreuses et ses eaux claires et fraîches. On l’y transporta encore vivant, ce qui n’empêcha pas que, six jours après le début de sa maladie, il mourut, en dehors du sanctuaire (pour éviter à ce dernier la souillure d’un mort). Il fut mis dans le miel (conformément à l’usage de Sparte, quand l’un de ses rois mourait loin de sa patrie, la cire pouvant remplacer le miel en cas de besoin, comme ce fut le cas pour Agésilas, beaucoup plus célèbre, et décédé sur une côte libyenne), et ramené à Sparte, où il reçut la sépulture des rois. » (Xénophon, Hellénistiques, V, 3, 19)  La base du monument qu’après sa mort lui éleva son père Pausanias, avec une fière dédicace, a du reste été retrouvé à Delphes (l’épigraphie, choyée des dieux, les plus secrets, a parfois de ces miracles).

Dandysme écourté, et même souvent (un peu) rosse, des affects, de bribes de brevissimes poèmes-conversations, du détail et d’un décor dont on ne voit que l’envers seul (mais peut-être qu’à d’autres yeux…), philosophie de l’adorable quotidien, ou qui fut quotidien, précieux à saisir ou, ultimement, ressaisir, où disparate et argot permettent même, poétiquement, à Toulet d’introduire quelques brisures de ton, inopinées, et de tordre soudain le cou à toute ébauche d’effusion (la disparate des graphies, « MMrs » rimant avec « cieux », pour mieux encadrer le « falzar » soudain d’un coin de fêtes galantes 1900 et le registre bien soutenu, et pour cause, par la périphrase néoclassique, d’un « double trésor ») :

C’était longtemps avant la guerre.

Sur la banquette en moleskine
     Du sombre corridor,
Aux flonflons d’Offenbach s’endort
     Une blanche Arlequine.

... Zo’qui saute entre deux MMrs,
     Nul falzar ne dérobe
Le double trésor sous sa robe
     Qu’ont mûri d’autres cieux.

On soupe... on sort... Bauby pérore...
     Dans ton regard couvert,
Faustine, rit un matin vert...
     ... Amour, divine aurore.

Quoi qu’il en soit, la poésie, même furtive, joue bien avec le destin. « Même écrite pour faire briller une mélancolie de délice. Même inscrite dans le tour et le bond à la façon enjouée du jeune chat. L’agile, la ramassée, la caressante. Pointue et fine comme la plus mince aiguille du cadran, elle dit, elle aussi, notre durée, c’est-à-dire qu’elle a partie liée, à travers le flamboiement de l’instant heureux, avec la mort. Peut-être même, d’être structure légère, camoufle-t-elle moins l’étrangeté terrible du fond. […] d’une chose et d’un cœur qui courent, fût-ce en déliés ironiques, à leur perte.[…] La forme la plus brève paraît ici s’imposer pour exprimer que rien n’échappe à cette nocturne prise et qu’il n’y a guère de relâchement dans le tissu serré dont se fait, seconde après seconde, notre prison. Haïku, quatrain, tercet, fil blessant d’un couteau sans égal pour que fuse en fusée, vite retombée, le joli sang caché de notre vie - plus léger, semble-t-il, que nous. "Comment aimeriez-vous qu’elle (la postérité) vous vît ? ", se demande Toulet dans une lettre à soi-même du 23 mai 1903 ; et de répondre : "Moi, mordant et raffiné comme un outil de dentiste." Bashô, Khayyâm, Abou-Nawwâs, Toulet , ce sont là noms entre tous de prestidigitateurs peut-être, ou d’acrobates, ou de manieurs de bistouri, par qui le sang profond nous a tachés. » (Salah Stétié) (« Paul-Jean Toulet (1867-1920) : le pouvoir du charme », in Léon Vérane, Philippe Chabaneix et l’École Fantaisiste (actes du colloque organisé par D. Aranjo, Université du Sud-Toulon-Var en 2001, Édisud, juin 2003), pp. 210-211.)

Fixons quelques-unes de ces fusées, vite et jamais retombées, tant elles persisteront en nous :

C'était sur un chemin crayeux 
     Trois châtes de Provence 
Qui s'en allaient d'un pas qui danse 
     Le soleil dans les yeux. 

Une enseigne, au bord de la route, 
     - Azur et jaune d'œuf - 
Annonçait : Vin de Châteauneuf, 
     Tonnelles, Casse-croûte. 

Et, tandis que les suit trois fois 
     Leur ombre violette, 
Noir pastou, sous la gloriette, 
     Toi, tu t'en fous : tu bois… 

C'était trois châtes de Provence, 
     Des oliviers poudreux, 
Et le mistral brûlant aux yeux 
     Dans un azur immense. 

Contrerimes, LVIII



Alger, ville d'amour, où tant de nuits passées
M'ont fait voir le henné de tes roses talons,
Tu nourrissais pour moi, d'une vierge aux doigts longs,
L'orgueil, et l'esclavage, et les fureurs glacées.

Coples, XLV


Paris, 4 avril 1904.
Sur mes six ans, mon cher ami, je demeurais dans une petite villa de Bilhère, et de là, chaque matin à la belle saison, je gagnais Pau et l'école des Dominicaines, où me conduisait mon oncle, en se rendant lui-même au Quartier. II ne faisait encore que petit jour ; du brouillard pendait entre nous et les montagnes. Sur les giroflées qui habitent le creux des murs, sur les fleurs sanglantes, au bord des allées de gazon, la rosée avait laissé de belles larmes ; et mon oncle cueillait pour moi, parmi les larges feuilles, une grappe de raisin glacé. Alors, parfois un chant de clairon montait des casernes vers nous. Sensuel déjà, déjà nostalgique, avec des grains froids dans la bouche, et tout autour de moi cette enivrante voix de cuivre qui parlait de choses lointaines, et l'herbe mouillée où je passais les mains, comme je fais aujourd'hui sur une fourrure ; et la pourpre incomparable des pivoines, - étais-je heureux ? Je ne sais. Mais c'était vivre déjà. Quel orgue, une âme d'enfant jusqu'à la première femme qui en joue et la fausse. Mais rappelez-vous le bleu léger des Pyrénées, et le matin qui baisait vos joues pâles.
           Adieu
Lettres à soi-même 

Cette petite villa se nommait Mauritia.


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