Monday, April 15, 2019

Commentaires du Night Cap - A L'Encre de Chine

In his biography of Toulet, La Vie de P.-J. Toulet, Henri Martineau devotes eight pages, (78-85) to Toulet's 1903 voyage to Indo-China. Toulet was of course accompanied by Curnonsky. Martineau makes reference to some slight pieces published by Curnonsky in Le Journal during the course of 1911. While adding little to our knowledge of Toulet, these slight pieces are of some historical interest, as they have a bearing on the attitude of the French towards China and Vietnam during the colonial era. 
This is the text, accompanied by an image, of the article published on 11.11.1911. Teddy Whynot is the name adopted by Curnonsky in these anecdotes. He bestows the name Corzébien (a play on corps et biens) on Toulet.






Les Commentaires de "Night Cap"

A L'ENCRE DE CHINE.

A peine deux heures du matin le bar est encore plein de clients qui parlent « étranger » P. J. T. Corzébien (« le jeune homme à la mer »), Laconche de Pontayac et le colonel comte de Bréchain ont reculé devant l’invasion et se sont réfugiés autour d'une table ètroite, tout au fond du petit salon contigu au bar. L’humeur agressive et violemment particulariste de Corzèbien, « qui n'aime pas les autres », suffit à créer autour d'eux trois une zone réputée dangereuse qu'aucun intrus ne s'aviserait de franchir.
Ils attendent André Monillon, dit Teddy Whynot, que des besognes nocturnes retiennent à son journal. Et l'hostilité de l’endroit les incite à parler politique.
Le COMTE DE BRÉCHAIN. — On se croirait dans la tour de Babel!
CORZEBIEN — Vous voulez dire de Bebel. Car, autant que j'en puis juger, la plupart, de ces gens, discutent dans la langue de M. Mâximilien Harden la conclusion du désaccord marocain.
LACONCHE DE PONTAYAC. — Ils ne semblent pas d'ailleurs s'entendre entre eux beaucoup mieux qu'avec nous.
CORZEBIEN, grincheux. — Je me demande ce qu'ils voudraient de plus. L'Anjou, peut-être, ou la Bretagne ? Ah! comme disait naguère ce pauvre Jean de Tinan : « Tant que nous n'aurons pas repris l'Allemagne aux Alsaciens-Lorrains… »
LACONCHE DE PONTAYAC, prophétique et grandiloquent.— Le péril jaune forcera toutes les nations de l'Europe à s'unir.
CORZEBIEN . — Il me semble l'avoir déjà entendu dire. Et je me résigne à cette éventualité lointaine. Après tout, invasion pour invasion, je préférerais encore les Chinois.
LE COMTE DE BRÉCHAIN. — N'est-ce pas? A travers la différence des civilisations.
CORZÉBIEN, inquiet. - Ah! mon Dieu! colonel, voilà que vous aussi vous vous mettez à parler comme un livre!
LACONCHE DE PONTAYAC — En vérité, Corzèbien, vous finirez par nous réduire à la pantomime!
CORZÈBIEN. — Dieu vous entende, Pontayac! Je voulais seulement rappeler l'admirable conseil de La Bruyère aux écrivains, le meilleur qu'on leur ait jamais donné : « Vous voulez dire : « Il  pleut. » Dites : « Il pleut. » A part cela, je me félicite de me trouver pour une fois d'accord avec le colonel. Tous ceux qui sont allés en Chine comme nous trois.
TEDDY WHYNOT, se montrant tout à coup. — Vous en oubliez un !
CORZÈBIEN. — Certes, non ! puisque nous avons fait le voyage ensemble.
Vous me rappelez même fort à propos que je vous ai prêté, en 1903, alors que nous étions délégués de la presse à L’Exposition d'Hanoï, un roman de Mme Scarlett et une jeune congaï.
TEDDY WHYNOT. - Le roman n’a pas vieilli. Je l'ai prêté avant-hiér à Margarine, qui est partie pour Nice avec Bidarel. (Il s'assied et commande des sandwiches. Corzèbien, « qui n'a jamais faim entre les repas, » lui jette un regard méprisant, mais envieux-.) -Oui, c'est comme ca! J'ai très faim. Et, puisque vous parliez des Chinois, imaginez-vous qu'on a apporté ce soir au journal une série de photos qui illustreraient à merveille le Jardin des supplices. Il y a là quelques bourreaux célestes qui s'occupent d'une malheureuse femme. Ça m'a creusé!. Oh! moins que la victime.CORZÈBIEN. — Elle était jolie ?
TEDDY WHYNOT. — En commençant. Très changée, à la fin.
LE COMTE DE BRÉCHAIN. — Je me demande d'où nous vient à tous quatre notre sympathie pour ce peuple cruel.
CORZÈBIEN. - Cruel ? Croyez-vous. Ils attachent moins de prix à la vie que nous autres. Et peut-être que, pour eux, le sadisme n'est même plus une distraction.
LACONCHE DE PONTAYAC. — Cela me rappelle qu'il y a cinq ans, à Canton.
CORZÈBIEN — Voilà ce-que je craignais ! Pontayac va raconter une histoire !
LACONCHE DE PONTAYAC. - Mais enfin, sapristi! on n'entend que vous, Corzébien! Vous ne souffrez pas qu'on prenne la parole, même pour vous approuver.
CORZÈBIEN — C'est que le suffrage universel m'est odieux. Mais j'apprécie le vôtre à sa valeur. Causez, Pontayac; Ces messieurs vous écoutent;.
LACONCHE DE PONTAYAC, impavide. Je disais donc que voilà cinq ans, à Canton, par un gris et doux matin d'avril.
CORZÈBIEN. — Ça commence comme un roman-feuilleton !
LACONCHE DE PONTAYAC. - nous nous promenions, quelques Français et moi, à travers la ville, dans ces étranges chaises à porteurs. 
CORZÈBIEN. — Vous n'allez pas, je pense, nous les décrire.
LACONCHE DE PONTAYAC — lorsque notre petite caravane fut arrêtée aux abords d'une place par une foule grouillante.
CORZÈBIEN. — Un rassemblement, sans doute ?
LACONCHE DE PONTAYAC. — Notre guide alla s'informer et revint nous dire qu'on allait décapiter une douzaine de malandrins, quelque chose comme des apaches locaux. Je me serais, bien passé de ce spectacle, que j'avais vu plusieurs fois. Mais une jeune et charmante Parisienne, qui nous accompagnait avec son mari, insista pour pénétrer jusqu'au lieu de l'exécution. L'un de nous, qui était consul de France et parlait le chinois comme Kou Fu Tsen, voulut bien se dévouer et alla parlementer avec le mandarin chargé de présider à la cérémonie.
Il revint, au bout de quelques minutes, suivi d'un petit vieux, gras et court, a la mine joviale, qui se confondit en layes et révérences. Notre compagnon traduisait à mesure : « Le mandarin Huong Li Wan s'excuse auprès de vous, madame, de n'avoir ce matin que quatorze condamnés à vous offrir. Il regrette infiniment dé n'avoir point été averti de votre venue. Sans quoi il eut retardé jusqu'à aujourd'hui l'exécution des vingt-six condamnés qui ont été décapités ici, voilà huit jours. Et vous auriez eu le spectacle d'une cérémonie plus solennelle et de quelques supplices plus rares. Il vous supplie de l’excuser et de né point juger le Cèleste Empire d'après ce que vous allez voir. »
La jolie Parisienne souriait avec grâce. Je vis bien qu'elle soupçonnait notre consul de traduire à sa fantaisie les paroles du mandarin. Moi, je savais assez de chinois peur me rendre compte qu'elle se trompait.
Cependant, nous étions descendus de nos chaises, et Huong Li Wan nous fit ouvrir un passage, à travers la foule, jusqu'au lieu du supplice. C'était une place droite et triangulaire, d'où l'on dominait au loin le panorama de la Rivière de Canton. Un large et lourd billot se dressait au centre, et les condamnés, reconnaissables à leurs torses nus et à leurs cous écorchés par la cangue*, causaient avec leurs parents et leurs amis en attendant le bon plaisir du magistrat.
*Instrument de torture portatif, en Chine, ayant la forme d'une planche ou d'une table percée de trois trous dans lesquels on introduisait la tête et les mains du supplicié.

Le bourreau vérifiait le fil de son sabre, court et convexe, et ses deux aides échangeaient d'amicales bourrades. Huong Li Wan nous fit placer à ses côtés, non sans s'excuser de n'avoir point de sièges à nous offrir, puis frappa dans ses mains, tel un professeur qui requiert l'attention de ses élèves. Le bourreau, un de ces colosses comme il y en a parmi les Chinois du Sud, alla toucher l'épaule nue d'un condamné, qui s'entretenait avec sa femme et ses quatre enfants. Mais la femme, dont il nous fut facile de traduire les gestes, vint expliquer à Huong Li Wan qu'ils avaient encore quelque chose à se dire et désigna de la main un autre condamné, qui se trouvait seul à quelques pas de là  -  un célibataire, sans doute! Le mandarin acquiesça d'un signe, et le bourreau alla frapper sur l'épaule de l'autre, qui, sans se faire prier, vint s'agenouiller auprès du billot. L'un des aides lui saisit sa natte et la ramena en avant. Le bourreau se pencha vers la victime pour lui demander « si ça pouvait aller comme ça ». L’autre répondit par un petit grognement approbatif. Puis, sans faire tournoyer son sabre autour de sa tête ni se livrer à de vaines fantasias, l'exécuteur regarda fixement pendant quelques secondes la nuque découverte, et, dès que son oeil exercé eut distingué nettement l’attache du cou, il abaissa sa lame d'un geste bref et sûr. La tête alla se balancer au bout de la natte, que l'aide avait gardée dans sa main. Le sang jaillit par saccades, et le corps décapité se renversa en arrière. Le second aide le poussa du pied pour faire place au condamné suivant.
Je regardai la jolie Parisienne. Elle avait un peu pâli.
— N'est-ce pas, me dit-elle, on se croirait au théâtre! Ça n'a pas l'air vrai!
En effet, rien ne saurait rendre l'impression de bonhomie, je dirais presque d’intimité cordiale, qui se dégageait de toute cette horreur.

TEDDY WHYNOT. - La « mort heureuse », quoi!
LACONCHE DE PONTAYAC. — Ma foi, oui…un peu. De deux en deux minutes, les autres exécutions se suivirent sans plus d'apparat. Nous finissions par ne plus prendre tout cela très au sérieux. Les veuves elles-mêmes nous donnaient l'exemple du calme; il est vrai que, dans la plupart des cas, la commune leur assure, paraît-il, une petite pension. Et alors… vous comprenez !... Pourtant, quand ce fut fini, je m'avisai tout à coup que mes pieds s'enfonçaient dans un sol humide et gluant. Je baissai les yeux et je vis que les bottines blanches de ma jolie voisine étaient devenues toutes rouges jusqu'à la cheville.
CORZÈBIEN. — Et vous ne manquâtes point, sans doute, de le lui faire remarquer?
LACONCHE DE PONTAYAC un peu confus.— En effet. Elle en prit même une crise de nerfs un peu tardive.
CORZÈBIEN. — Je l'aurais parié! Vous n'en ratez jamais une!.


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